"Les clercs bouddhistes élaborent des stratégies visant à influencer les instances occidentales de gouvernement."
Le moine bouddhiste Matthieu Ricard représentant du lamaïsme auprès des puissants du Forum économique mondial de Davos.
Lionel Obadia, et, à sa suite, Cécile Campergue, ainsi que Thierry Mathé, entendent traiter le bouddhisme comme une "religion missionnaire". Ce courant s’appuie en partie sur les analyses, essentiellement américaines, d’histoire culturelle, notamment celles de Donald Lopez – qui le premier développa l’idée d’un "colonialisme spirituel" du Dalaï Lama, fondé sur la reprise et la diffusion de discours orientalistes et scientifiques –, Peter Bishop, Georges Dreyfus, Thierry Dodin et Heinz Räther et Martin Baumann.
Dans "Bouddhisme et Occident" (1999), L. Obadia revient sur la généalogie des représentations occidentales du bouddhisme et décrit les différents milieux sociaux qui ont contribué à leur vulgarisation (cercles d’érudits orientalistes et de voyageurs, philologues, sociétés occultes…). Il étudie ensuite les techniques de "propagande" et d'"évangélisation" des promoteurs occidentaux du bouddhisme, dans le cadre d’une sociologie d’inspiration wébérienne qui affirme la dimension "universaliste" et "missionnaire" du bouddhisme. Son ouvrage ne décrit pas davantage les dispositifs d’affiliation qui permettent, dans ces centres, de fabriquer de nouveaux "convertis".
Dans un second ouvrage, "Le bouddhisme en Occident" (2007), le propos de L. Obadia prend une toute autre ampleur, en ce qu’il entend aborder la diffusion et l’implantation en Occident de tous les courants bouddhiques. Reprenant les analyses d’histoire culturelle déjà développées dans son précédent livre, il s’interroge à présent sur les différentes modalités d’adhésion au bouddhisme en Occident, en distinguant notamment, comme l’avait fait avant lui l’historien des religions Martin Baumann, le bouddhisme des immigrés asiatiques de celui de "convertis" indigènes. Il s’interroge sur les transformations subies par les traditions importées : s’agit-il d’un "bouddhisme occidental", d’un "bouddhisme à l’occidentale", d’un "bouddhisme mondial" ou d’un "bouddhisme moderne" ? Ainsi le souci d’établir des typologies se substitue-t-il à celui d’une ethnographie des pratiques qui ne préjuge pas de leur nature.
R. Liogier, pour sa part, a publié un second ouvrage, "Le bouddhisme mondialisé", en 2003, dans lequel il reprend les analyses de D. Lopez en termes de "fascination" et considère le bouddhisme d’Occident, à la manière de F. Lenoir, comme une "troisième voie", située entre les idéologies communistes et capitalistes, qui seraient aujourd’hui discréditées. Mais, comme L. Obadia, il développe l’idée selon laquelle les "clercs bouddhistes" élaborent des stratégies visant à influencer les instances occidentales de gouvernement. Leur objectif serait d’institutionnaliser cette "troisième voie", qu’il nomme "individuo-globalisme" et qui serait en passe de remplacer les religions institutionnalisées.
La thèse de Cécile Campergue entend montrer en quoi consiste, à l’aide d’une enquête empirique réalisée pendant plusieurs années dans les centres bouddhiques tibétains de France, le "missionarisme" des lamas tibétains. Elle répertorie et décrit les différents centres présents sur le territoire national, revient sur les parcours des lamas qui les ont fondés, décrit les moyens employés pour diffuser une représentation idéalisée du bouddhisme tibétain (médias, institutions, personnalités intellectuelles, politiques ou du monde du spectacle, modes de financement et gestion économique des centres) et s’interroge sur les relations des maîtres avec leurs étudiants, soulignant plusieurs contradictions entre les discours et les pratiques (relations de dévotion et d’obéissance, statut ambigu des femmes…).
Marion Dapsance.