Thursday, July 17, 2025

La société tibétaine sous le règne du Dalaï-lama




Un texte d'Alexandra David-Néel (la Dame Lama), écrit en 1950*, atteste que les Tibétains étaient victimes d'un régime politique pratiquant le servage et l'esclave. Ce régime était dirigé par l'actuel Dalaï-lama qui, au lieu d'une condamnation pour les souffrances infligées à son peuple, est honoré par l'Occident : prix Nobel de la paix, médaille d'or du Congrès américain, médaille de la liberté...

*) Tenzin Gyatso, l'actuel Dalaï-lama, a été intronisé chef temporel et spirituel du Tibet le 17 novembre 1950.


La société tibétaine sous le règne du Dalaï-lama


par Alexandra David-Néel



La vie politique et ses intrigues n’affectent au Tibet qu’un nombre très minime d’individus et ne s’étendent guère au-delà des provinces centrales. Les zones sévères et froides du Ngari comme celles privilégiées de la nature des pays de Po, de Lho et du Kongbou, y sont toujours restées à peu près étrangères.

Là règnent sur des populations plus ou moins primitives et clairsemées, des chefs locaux dont les plus importants s’attribuent fièrement le titre de gyalpo (roi).

En tête de leurs « sujets » viennent des richards du terroir : des tchougpos propriétaires de terres généralement acquises sans droit précis par un de leurs ascendants. Le produit de ces terres cultivées par des métayers dont la condition est, souvent, analogue à celle des serfs, et celui d’un bétail assez important constituent le fond des revenus d’un tchougpo. Il en est de même pour le chef qui y ajoute le fruit de certains impôts qu’il lève à son gré sur ses administrés et celui des amendes qu’il inflige lorsqu’il agit en qualité de juge arbitrant des querelles ou punissant des méfaits.

Une sorte d’esclavage assez bénin subsiste encore en maintes parties du Tibet. Attachés à une famille particulière, les esclaves y fournissent une grande partie de la domesticité. Cet esclavage n’est toutefois pas légal. Il repose sur la coutume mais, au Tibet, coutume vaut pratiquement loi.

Cependant, la plus forte partie du revenu des chefs et des tchougpos provient du commerce. Tout le monde trafique au Tibet : riches et moins riches, les pauvres eux mêmes, hommes, femmes et enfants. Nul Tibétain qui n’ait quelque chose à vendre ou à troquer : drap précieux ou commun, laine, chevaux et mules, chaudrons, beurre, fromage, bouse des troupeaux servant de combustible, du haut en bas de l’échelle sociale l’on vend, l’on échange avec âpreté et l’on peut voir des miséreux tirant de sous leurs guenilles de vieux os ramassés dans la poussière et les proposant à d’autres pauvres hères qui les pileront et se serviront de leur poudre pour assaisonner leur maigre pitance. [...]

Se méprenant sur mon identité (Alexandra David-Néel était déguisée en tibétaine) les paysans parlèrent librement devant moi, ne me cachant rien de leur détresse. Impôts et corvées pesaient sur eux d’un poids qui les écrasait.

Les corvées qui les arrachaient souvent aux travaux des champs aux époques où ceux-ci étaient les plus urgents ne différaient d’ailleurs en rien de celles auxquelles étaient soumis tous les paysans du Tibet. Partout, les travaux à effectuer pour le gouvernement : routes ou bâtiments à construire ou à réparer, incombaient aux villageois qui ne recevaient de ce fait ni salaire ni nourriture. En dehors du travail forcé requis pour le gouvernement, les paysans devaient aussi transporter gratuitement les bagages et les marchandises des voyageurs munis de titres de réquisition à cet effet et leur fournir, outre des bêtes de somme, du fourrage et du grain pour leurs montures et celles de leurs serviteurs.

Quant aux impôts à payer en nature, les gens de Tashi Tsé affirmaient que la terre peu fertile de leur pays ne produisait pas chaque année assez de grain pour qu’ils puissent s’acquitter de ce qui leur était réclamé. Cependant, il fallait aussi manger… D’où emprunts et dettes.

Ils énuméraient encore d’autres manières de les dépouiller, qui contribuaient à remplir la caisse du Gouverneur résidant dans un petit dzong (château) perché sur un monticule au bord de la rivière. – L’on peut dire, à la décharge de ce dernier, que lui-même avait dû payer cher sa nomination au poste qu’il occupait. Du haut en bas de l’échelle hiérarchique, la même corruption s’étalait.

Quitter le pays pour chercher de meilleures terres ou des chefs moins exigeants n’était point permis à ces paysans qui, comme tous leurs pareils, n’étaient que des serfs. Quelques-uns avaient tenté de fuir, de s’établir dans les provinces voisines. Découverts, ils avaient été arrachés à leur nouveau foyer et ramenés à Tashi Tsé pour y être bâtonnés et condamnés à une forte amende.

Ceux qui avaient songé à les imiter ne l’osaient pas, trop effrayés par le châtiment infligé aux familles des fugitifs. Celles-ci ayant été tenues pour responsables, car elles auraient dû, leur reprochait-on, empêcher leurs parents de s’échapper, frères, oncles, cousins avaient été fustigés et contraints de payer des amendes.

Ainsi, ces malheureux demeuraient dans leurs pauvres demeures, toute énergie détruite en eux, s’appauvrissant chaque année davantage, n’espérant aucune délivrance dans cette vie.

Certains regardaient du côté de la Chine. « Nous n’étions pas si mal traités quand les Chinois étaient les maîtres », me disaient-ils. « Reviendront-ils ?… Peut-être… Mais quand ? Nous pouvons être morts avant ce temps… »

Ils sont revenus bien plus puissants qu’ils ne l’étaient auparavant. Pas un coup de feu n’a été tiré contre eux pendant leur marche à travers les campagnes et les bourgades tibétaines et, souvent, ils ont été accueillis avec joie. Les étrangers qui s’apitoyaient sur le sort des populations victimes d’une odieuse agression étaient bien mal informés.

De quelle façon la Chine répondra-t-elle à l’espoir que le prolétariat et les métayers serfs du Tibet ont placé en elle… Il reste à le voir.

Le ciel bleu, la glorieuse lumière, le soleil étincelant du Tibet sont générateurs d’optimisme ; la paysannerie tibétaine n’est pas encline à nourrir longuement des soucis ; elle attend avec tranquillité les changements que pourra lui apporter le renouvellement de ses très anciens liens avec la Chine ; une Chine différente de celle que ses pères ont connue et plus d’une fois combattue, mais qui, pour le moment, ne paraît pas lui déplaire. »

Alexandra David-Néel, « Le vieux Tibet face à la Chine nouvelle ».


Wednesday, February 05, 2025

Un moine du Ladakh, marcheur et philosophe



Tenzin, moine bouddhiste du Ladakh, entame son périple de 3 000 km à pied jusqu'à son monastère en Inde. Entre routes dangereuses, villages isolés et montagnes, il incarne la philosophie bouddhiste en prônant la simplicité et en acceptant les épreuves comme une question de karma. Au fil de ses rencontres, nous explorons la spiritualité, le respect des traditions et la critique d'une modernité qui selon lui, nous éloigne de l'essentiel.


(10 minutes)


Tuesday, January 28, 2025

Le bouddhisme tibétain comme religion conquérante


"Les clercs bouddhistes élaborent des stratégies visant à influencer les instances occidentales de gouvernement."


Le moine bouddhiste Matthieu Ricard représentant du lamaïsme auprès des puissants du Forum économique mondial de Davos.


Lionel Obadia, et, à sa suite, Cécile Campergue, ainsi que Thierry Mathé, entendent traiter le bouddhisme comme une "religion missionnaire". Ce courant s’appuie en partie sur les analyses, essentiellement américaines, d’histoire culturelle, notamment celles de Donald Lopez – qui le premier développa l’idée d’un "colonialisme spirituel" du Dalaï Lama, fondé sur la reprise et la diffusion de discours orientalistes et scientifiques –, Peter Bishop, Georges Dreyfus, Thierry Dodin et Heinz Räther et Martin Baumann.

Dans "Bouddhisme et Occident" (1999), L. Obadia revient sur la généalogie des représentations occidentales du bouddhisme et décrit les différents milieux sociaux qui ont contribué à leur vulgarisation (cercles d’érudits orientalistes et de voyageurs, philologues, sociétés occultes…). Il étudie ensuite les techniques de "propagande" et d'"évangélisation" des promoteurs occidentaux du bouddhisme, dans le cadre d’une sociologie d’inspiration wébérienne qui affirme la dimension "universaliste" et "missionnaire" du bouddhisme. Son ouvrage ne décrit pas davantage les dispositifs d’affiliation qui permettent, dans ces centres, de fabriquer de nouveaux "convertis".

Dans un second ouvrage, "Le bouddhisme en Occident" (2007), le propos de L. Obadia prend une toute autre ampleur, en ce qu’il entend aborder la diffusion et l’implantation en Occident de tous les courants bouddhiques. Reprenant les analyses d’histoire culturelle déjà développées dans son précédent livre, il s’interroge à présent sur les différentes modalités d’adhésion au bouddhisme en Occident, en distinguant notamment, comme l’avait fait avant lui l’historien des religions Martin Baumann, le bouddhisme des immigrés asiatiques de celui de "convertis" indigènes. Il s’interroge sur les transformations subies par les traditions importées : s’agit-il d’un "bouddhisme occidental", d’un "bouddhisme à l’occidentale", d’un "bouddhisme mondial" ou d’un "bouddhisme moderne" ? Ainsi le souci d’établir des typologies se substitue-t-il à celui d’une ethnographie des pratiques qui ne préjuge pas de leur nature. 

R. Liogier, pour sa part, a publié un second ouvrage, "Le bouddhisme mondialisé", en 2003, dans lequel il reprend les analyses de D. Lopez en termes de "fascination" et considère le bouddhisme d’Occident, à la manière de F. Lenoir, comme une "troisième voie", située entre les idéologies communistes et capitalistes, qui seraient aujourd’hui discréditées. Mais, comme L. Obadia, il développe l’idée selon laquelle les "clercs bouddhistes" élaborent des stratégies visant à influencer les instances occidentales de gouvernement. Leur objectif serait d’institutionnaliser cette "troisième voie", qu’il nomme "individuo-globalisme" et qui serait en passe de remplacer les religions institutionnalisées. 

La thèse de Cécile Campergue entend montrer en quoi consiste, à l’aide d’une enquête empirique réalisée pendant plusieurs années dans les centres bouddhiques tibétains de France, le "missionarisme" des lamas tibétains. Elle répertorie et décrit les différents centres présents sur le territoire national, revient sur les parcours des lamas qui les ont fondés, décrit les moyens employés pour diffuser une représentation idéalisée du bouddhisme tibétain (médias, institutions, personnalités intellectuelles, politiques ou du monde du spectacle, modes de financement et gestion économique des centres) et s’interroge sur les relations des maîtres avec leurs étudiants, soulignant plusieurs contradictions entre les discours et les pratiques (relations de dévotion et d’obéissance, statut ambigu des femmes…). 

Marion Dapsance.